Maria Valtorta | Tome 1 – Chapitre 16 : « Tu devrais être la Mère du Christ. »

C’est seulement hier soir, vendredi, que mon âme a été éclairée pour la vision. Je n’ai vu autre chose que :        une toute jeune Marie, une Marie de douze ans au plus. Son petit visage n’a plus la rondeur qui caractérise l’enfance, mais déjà on devine les traits de la femme dans l’ovale qui se dessine. Les cheveux aussi ne tombent plus épars sur la nuque avec leurs boucles légères ; mais ils sont rassemblés en deux lourdes tresses d’un or très pâle – ils paraissent mêlés d’argent tellement ils sont clairs – sur les épaules, et descendent jusqu’aux hanches. Le visage est plus réfléchi, plus mûr, bien que ce soit toujours le visage d’une enfant, d’une belle et pure enfant.

 

Elle est toute vêtue de blanc. Elle coud dans une toute petite pièce, petite et toute blanche. De la fenêtre ouverte on découvre l’édifice imposant et central du Temple et puis toute la descente des escaliers des petites cours, des portiques et, au-delà de la muraille d’enceinte, la cité avec ses rues, ses maisons, ses jardins et au fond le sommet bosselé du Mont des Oliviers.

 

Elle coud et chante à mi-voix. Je ne sais si c’est un chant sacré. Le voici :

« Comme, en un clair miroir d’eau, une étoile, Tout au fond de mon cœur, brille et se dévoile. Depuis mon enfance elle est en moi toujours Et, avec toute suavité, me guide avec amour. C’est un chant au fond de mon cœur. Mais d’où peut-il jamais venir ? Ô homme tu ne le sais pas. Il vient d’où le Saint repose. Je regarde mon étoile claire Tout en ne voulant pas aucune chose qui n’est pas même si c’était la plus douce et plus chère.

Rien pour moi que sa douce clarté qui est tout à moi. Tu m’as portée du haut des Cieux, Étoile, en un sein maternel. En moi tu vis, à présent, mais au-delà des voiles, Je te vois, glorieuse image du Père. Quand me donneras- tu l’honneur D’être l’humble servante du Sauveur ? Envoie du Ciel, envoie- nous le Messie. Reçois, ô Père Saint, l’offrande de Marie.»

Marie se tait, sourit et soupire, puis se plie à genoux en prière. Son petit visage n’est que lumière. Le regard levé vers l’azur merveilleux d’un beau ciel d’été, elle semble en attirer sur elle toute la lumière et en être irradiée. Ou, mieux encore, il semble que de l’intérieur un soleil caché illumine de ses clartés et allume la neige à peine rosée de la chair de Marie et puis se répand sur les choses et sur le soleil qui illumine la terre, en la bénissant et lui promettant tant de bien.

Pendant que Marie va se lever après sa prière d’amour, sur son visage persiste la clarté de l’extase.

 

À ce moment entre la vieille Anne de Phanuel. Elle s’arrête interdite ou, pour le moins, surprise de l’acte et de l’aspect de Marie. Elle l’appelle :

« Marie »

et l’adolescente se retourne avec un sourire, différent, mais toujours si beau ; elle salue :

« Anne, la paix pour toi. »

 

« Tu priais ? Tu n’as jamais assez prié ? »

« La prière me suffirait. Mais je parle avec Dieu. Anne, tu ne peux savoir comme je le sens près de moi. Plus que proche : en mon cœur. Que Dieu me pardonne pareil orgueil, mais je ne me sens jamais seule. Tu vois ? Là, dans cette Maison d’or et de neige, derrière le double Rideau, se trouve le Saint des Saints. Et jamais aucun œil, si ce n’est celui du Souverain Prêtre, ne peut s’arrêter sur le Propitiatoire sur lequel repose la gloire du Seigneur.

 

Mais je n’ai pas besoin de regarder avec tout le respect de mon âme qui le vénère ce double Voile brodé que font vibrer les ondes des chants des vierges et des lévites, et qui répand les effluves des précieux encens comme pour en percer l’épaisseur et permettre de voir le Témoignage. Bien sûr que je le regarde ! Ne crains pas que je ne le regarde pas avec respect, comme un fils d’Israël.

 

Ne crains pas que l’orgueil m’aveugle en me faisant penser ce que je te dis maintenant. Je le regarde et il n’y a pas d’humble serviteur du peuple de Dieu qui regarde plus humblement la maison de son Seigneur, plus humblement que moi qui suis convaincue d’être la plus insignifiante de tous. Mais que vois-je ? Un voile. Qu’est-ce que je me représente au-delà du Voile ? Un Tabernacle. Et quoi dans le Tabernacle ? Mais si je porte mes regards au fond de mon cœur, je vois Dieu resplendir dans sa gloire d’amour qui me dit :

« Je t’aime »

et moi, je Lui dis :

« Je t’aime »

et je me fonds et me renouvelle à chaque battement de mon cœur en ce baiser réciproque… Je suis au milieu de vous, maîtresses et compagnes bien chères, mais un cercle de flamme m’isole de vous. Dans le cercle : Dieu et moi. Et je vous vois à travers le Feu de Dieu et c’est ainsi que je vous aime… mais, je ne puis pas vous aimer selon la chair ni jamais personne je pourrai aimer selon la chair. Mon seul amour est Celui-là qui m’aime et selon l’esprit. Je connais mon sort. La Loi séculaire d’Israël veut faire de toute vierge une épouse et de toute épouse une mère. Mais moi qui suis soumise à la Loi, j’obéis à la Voix qui me dit :

« Je te veux ».

Vierge je suis et resterai. Comment le pourrai-je ? Cette voix, Invisible Présence près de moi, m’apportera son aide car c’est Elle qui le veut. Je ne crains pas.

Je n’ai plus de père, ni de mère… et il n’y a que l’Éternel qui sache en quelle douleur s’est consumé ce que j’avais d’humain. Ça été une douleur cruelle, plus que cruelle. Maintenant je n’ai plus que Dieu. Je Lui obéis donc aveuglément… Mais je l’aurais fait, contre père et mère, parce que la Voix m’enseigne que qui veut la suivre doit passer au-delà des ordres des parents, amoureuses gardes de ronde autour des murs qui protègent leur enfant mais qui la veulent conduire au bonheur par leur chemin à eux, ne sachant pas qu’il y a d’autres voies qui conduisent à une joie infinie… J’aurais abandonné vêtements et manteau pour suivre la Voix qui me dit :

« Viens, ô mon Aimée, ô mon Épouse ».

J’aurais tout laissé ; et les perles de mes larmes, car j’aurai pleuré de devoir désobéir, et les rubis de mon sang, car j’aurais même défié la mort pour suivre la Voix qui appelle, ils leur auraient dit qu’il y a quelque chose de plus grand de l’amour d’un père et d’une mère et plus doux encore : c’est la Voix de Dieu. Mais, maintenant sa volonté m’a dégagée aussi des liens de la piété filiale.

D’ailleurs ils ne m’auraient pas tenue captive. Mes parents étaient deux justes et Dieu leur parlait au fond du cœur comme Il me parle à moi. Ils auraient suivi le chemin de la justice et de la vérité. Quand je pense à eux, je les vois dans le repos, auprès des Patriarches, et je hâte par mon sacrifice l’avènement du Messie qui leur ouvrira les portes du Ciel. Sur la terre, c’est moi qui me tiens debout, ou plutôt c’est Dieu qui dirige sa pauvre servante en lui disant ses ordres. Et moi, je les accomplis, car c’est mon bonheur de les accomplir. Quand l’heure sera venue, je dirai à l’époux mon secret… et lui l’accueillera. »

« Mais Marie… quelles paroles trouveras-tu pour le persuader ? Tu auras contre toi l’amour d’un homme, la Loi et la vie. »

« Avec moi j’aurai Dieu… Dieu ouvrira à la lumière le cœur de mon époux… La vie perdra l’aiguillon des sens et deviendra une fleur pure qui exhalera le parfum de la charité. La Loi… Anne ne m’appelle pas blasphématrice, mais je pense que la Loi va changer. Qui le fera, si elle est divine ? Celui qui seul en a le pouvoir : par Dieu. Le temps est proche, plus que vous ne le pensiez, je vous le dis. En lisant Daniel une grande clarté s’est faite en moi, venant du centre de mon cœur et mon esprit a compris le sens de ses secrètes paroles. Elles seront abrégées, les septante dix semaines à cause des prières des justes. Il sera changé le nombre des années ? Non. La Prophétie ne ment pas. Mais non pas le cours du soleil, mais celui de la lune est la mesure du temps prophétique. Pour cela je vous dis :

« Toute proche est l’heure où on entendra vagir le Fils d’une Vierge ».

Oh ! que je voudrais que cette Lumière qui m’aime et qui me dit tant de choses, me dise où est l’heureuse Vierge qui enfantera le Fils de Dieu et le Messie de son Peuple ! Je marcherais pieds nus et je parcourrais la terre. Ni froid, ni gel, ni poussière, ni canicule, ni fauves, ni faim ne m’arrêteraient pour la rejoindre et lui dire :

« Accorde à ta servante et à la servante des serviteurs du Christ de vivre sous ton toit. Je tournerai la meule et le pressoir, mets-moi comme esclave à la meule, comme bergère à ton troupeau, à laver les langes de ton Enfant, aux cuisines, aux fours… où tu veux, mais accueille-moi. Que je le voie ! Que j’entende sa voix ! Que j’en reçoive un regard ».

Et, si elle ne veut pas de moi, mendiante, à sa porte, je vivrai d’aumônes et de railleries sans un toit, exposée au bivouac et aux grandes chaleurs, pour entendre la voix du Messie enfant et l’écho de ses éclats de rire. Et puis, le voir passer… et peut-être un jour recevrai-je de Lui l’aumône d’un pain… Oh ! si la faim me torture l’estomac et si je me sens défaillir après un si long jeûne, je ne mangerai pas ce pain. Je le serrerai comme un sachet de perles contre mon cœur et je le baiserai pour sentir le parfum de la main du Christ et je n’aurai plus ni faim, ni froid, parce que ce contact me donnerait extase et chaleur, extase et nourriture… »

« Tu devrais être la Mère du Christ, toi qui l’aimes à ce point ! C’est pour cela que tu veux rester vierge ? »

« Oh ! non. Je suis misère et poussière. Je n’ose lever le regard vers la Gloire. C’est pour cela que, plus que le double Voile derrière lequel je sais qu’est l’invisible Présence de Jéhovah, j’aime regarder au dedans de mon cœur. Là est le Dieu terrible du Sinaï ; ici, en moi, je vois notre Père, un Visage qui resplendit d’amour, qui me sourit et me bénit parce que je suis toute petite comme un oisillon que le vent soulève sans en sentir le poids, et faible comme la tige du muguet sauvage qui ne sait que fleurir et parfumer et n’oppose au vent que la douceur de sa force parfumée et pure. Dieu, mon vent d’amour !  Non, je n’ai pas cette ambition, mais à celui qui naîtra de Dieu et d’une Vierge, au Saint du Très Saint ne peut plaire que ce qu’au Ciel il a choisi pour sa Mère, et ce qui sur la terre Lui parle du Père céleste : la Pureté.

Si la Loi méditait cela, si les rabbis qui l’ont amplifiée avec toutes les subtilités de leur enseignement, tournaient leurs esprits vers des horizons plus élevés et se plongeaient dans le surnaturel, laissant de côté l’humain et l’utile oubliant le But suprême de leurs recherches, ils devraient surtout orienter leur enseignement vers la Pureté pour que le Roi d’Israël la trouve à son arrivée. Avec l’olivier du Pacifique, les palmes du Triomphateur, répandez des lys et des lys et des lys…

Que de Sang devra-t-il répandre pour nous racheter, le Sauveur ! Combien ! Des mille et mille blessures que Isaïe vit sur l’Homme des douleurs, voici que tombe, comme la rosée d’un vase poreux, une pluie de Sang. Qu’il ne tombe pas où il y a profanation et blasphèmes, ce Sang divin, mais dans les calices d’odorante pureté qui l’accueillent et le recueillent pour le répandre sur les malades d’esprit, sur les âmes lépreuses, sur tous ceux qui, pour Dieu, sont morts. Donnez des lys, donnez des lys pour essuyer, avec la blanche robe des pures pétales, la sueur et les larmes du Christ ! Donnez des lys, donnez des lys, pour l’ardeur de sa fièvre de Martyr ! Oh ! Où sera-t-il le Lys qui te portes ? Où celui qui étanchera ta soif ? Où sera-t-il celui qui se teindra de ton Sang et mourra de douleur te voyant mourir ? Où celui qui pleurera sur ton Corps exsangue ? Oh ! Christ ! Oh ! Christ ! Mon Soupir ! … »

Marie se tait fondue en pleurs, effondrée. Anne se tait quelque temps, puis de sa voix blanche de femme âgée, émue elle dit :

« As-tu autre chose à m’enseigner, Marie ? »

Marie revient à elle. Elle doit croire dans son humilité que sa maîtresse la blâme et dit :

« Oh ! pardon ! Tu es maîtresse, je suis un pauvre rien, mais cette parole me jaillit du cœur. J’ai beau la surveiller pour ne pas parler. Mais c’est comme un fleuve qui dans son impétuosité croissante rompt les digues. Je suis prise et voilà elle est débordée. Ne tiens pas compte de mes paroles et mortifie ma présomption. Les paroles mystérieuses devraient rester dans l’arche secrète du cœur que Dieu par sa bonté bénéficie. Je le sais. Mais elle est si douce cette Invisible Présence que j’en suis toute ivre… Anne, pardonne à ta petite servante ! »

Anne la serre contre son cœur. Tout le vieux visage ridé tremble et brille sous les pleurs. Les larmes s’insinuent entre les rides comme fait l’eau sur un terrain accidenté avant de se transformer en un tremblotant marécage. Mais la vieille maîtresse ne provoque pas le rire : bien plutôt, elle fait naître la plus grande vénération. Marie est entre ses bras, son petit visage contre la poitrine de la vieille maîtresse… et tout finit ainsi.



Ces enregistrements audio sont des lectures de la traduction de Felix Sauvage, qui a été éditée de 1979 à 2016.

Felix Sauvage, enseignant retraité à Pont-Audemer, a traduit « Il poema dell’Uomo-Dio » d’italien en français de 1971 à 1976, et a trouvé le titre – qui a depuis été repris pour toutes les autres traductions de l’Oeuvre de Maria Valtorta – « L’Evangile tel qu’il m’a été révélé ». Le 27 décembre 1976, les éditeurs de Maria Valtorta – Claudia et Emilio Pisani – vinrent à l’hospice « Albatros » de Pont-Audemer, où Felix Sauvage leur remit les manuscrits de son travail bénévole. Il meurt le 16 septembre 1978 à l’âge de 87 ans, avant le début de la parution de sa traduction en décembre 1979.

Depuis mars 2017, c’est désormais la nouvelle traduction d’Yves d’Horrer qui est éditée, et qui remplace celle de Felix Sauvage.

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